LES RAPAT’ DE TOM – ICH BIN A BERLINER

ÉPISODE 03: ICH BIN A BERLINER

Berlin

Berlin, chouette destination mais rapatriement difficile, physiquement et nerveusement. Je pars chercher une dame de 53 ans qui s’est fracturé le col du fémur. Pas courant. Dès le départ, j’oublie de prendre le matelas coquille, erreur, j’en aurais bien besoin…
( matelas coquille : matelas à dépression qui se durcit et permet de maintenir les gens dans une position confortable et évite les heurts pendant le transport, pratique quand on a une hanche fraichement opérée… )

J’arrive à Berlin par une belle soirée, le taxi me dépose à l’hôpital, tout le monde à l’air gentil, tout se passe bien, s’est sans compter sur l’amabilité du personnel de nuit. Je rencontre ma patiente, ambulancière, et sa fille, infirmière en orthopédie. Ca n’aurait pas pu tomber mieux. Je discute un peu et décide d’aller demander le dossier médical histoire d’en savoir un peu plus sur ce qu’il a été fait ici.
Je propose mon plus beau sourire et mon meilleur anglais à l’infirmière, qui me réponds avec l’amabilité d’une porte de prison que je ne peux pas voir le dossier à cette heure-ci, je dois attendre demain matin. Très bien, je reprends mon sourire et ma bonne humeur en me disant qu’elle m’a au moins donné un renseignement : les dossiers médicaux berlinois dorment la nuit, comme tout le monde. Je repars donc, me promène un peu dans la ville et rentre à l’hôtel.
Le lendemain matin, je me confronte cette fois-ci à l’amabilité des ambulanciers berlinois. Je me dis qu’ils n’ont peu être pas digéré le fait qu’on ai gagné la guerre, mais je pense qu’ils sont juste désagréables de nature, ou qu’ils ne m’aiment pas. J’arrive dans la chambre de la patiente, et je vois, comme un message, le dossier médical posée sur la tablette. Ils n’ont pas envi de me parler, et personne ne prends la peine de venir m’aider à installer ma patiente sur le brancard. Bref, j’ai saisi l’ambiance et ne cherche pas plus loin. 
Les ambulanciers et moi même entreprenons donc de trasférer la patiente de son lit sur le brancard. C’est une catastrophe, elle a tellement peur d’avoir mal qu’elle se crispe et fait presque une crise de nerfs dès qu’on la touche. Je sens que ça ne va pas être facile. Nous arrivons tant bien que mal à l’aéroport. Pendant le trajet je feuillète le dossier médical. Apparait comme une évidence le fait que nous sommes en Allemagne et qu’aucun médicament n’a le même nom qu’en Françe. Je demande à la fille si elle peut m’éclairer un peu, sans succès. Même google ne m’est d’aucune utilité. Je joue franc jeu et dis à ma patiente avec toute l’assurance dont je dispose que le traitement pendant tout le trajet se fera à ma sauce.
Bien évidemment, étant donné que ce rapatriement à mal commencé, il continue à mal se passer. Nous attendons pendant presque deux heures près du bureau des douanes. Je ne sais pas pourquoi nous sommes là, nous aurions dû passer faire nos cartes d’embarquement avant de nous présenter sur le tarmac. Le décollage est prévu dans une vingtaine de minutes. Je sais que l’avion ne partira pas sans nous, mais la tension monte chez ma patiente ainsi que chez sa fille. Nerveuses de nature, elles commencent presque à paniquer et je dois user de tout l’humour et la sérénité dont je peux faire preuve pour faire retomber la pression. Au bout d’un moment interminable nous avançons enfin.
Arrivés au poste de contrôle, tout le monde me demande les cartes d’embarquements. Raté, je ne les ai pas. J’essaye tant bien que mal d’expliquer que les ambulanciers auraient dû nous amener les faire avant de se pointer à la douane, personne ne veut me comprendre, le ton monte entre les ambulanciers et les douaniers. Je ne sais pas trop quoi faire et je comprends vaguement que l’on risque de ne pas passer. L’avion ne nous attendra pas des heures et je commence moi-même à avoir peur. La fille de ma patiente sors de l’ambulance et se plante à quelques mètres, fumant une cigarette. Je vais la voir pendant que les ambulanciers s’expliquent avec les douaniers. Je n’ai pas le temps d’amorcer une esquisse de phrase pour la rassurer qu’elle fond en larmes, sans dire un mot. Je me retrouve bête. Sa mère à l’intérieur de l’ambulance est dans le même état. La moutarde me monte et je m’en vais voir les ambulanciers pour leur expliquer qu’ils doivent nous amener fissa faire les cartes d’embarquement pour que nous puissions passer au lieu de jouer à « qui aura la plus grosse » avec ces messieurs des douanes. Ils ne comprennent pas un mot de mon anglais et je ne saisi pas ce qu’ils me disent. C’est l’impasse quand sans prévenir j’entends la phrase qui va mettre fin à ce cauchemar : « Je peux peut être vous aider ».
Elle vient d’un homme, belge, et qui s’est retrouvé chef de la sécurité de l’aéroport à Berlin par un doux hasard. Je commence donc à lui expliquer le problème. Il saisit de suite et prends nos passeports pour aller faire lui même les cartes d’embarquement. La classe. Nous arrivons ( enfin ! ) au pied de l’avion. Il va falloir maintenant installer notre patiente à bord, ce qui n’est pas une mince affaire. Déjà que le transfert lit-brancard a été catastrophique, il s’agit maintenant de rentrer dans l’avion ( le brancard passe a peine ) et d’installer la patiente sur la civière. Son confort va en décroissant et son angoisse monte à mesure que la journée avance. Sa fille étant dans le même état de nerf, elle ne m’est d’aucune utilité et il faut que je gère l’installation en même temps que la réassurance de la mère et de la fille, ainsi que le traitement antidouleur, anxiolytique ( le tout en improvisation totale ), les bagages de ces dames et les miens. Je laisse passer devant moi les ambulanciers et m’occupe des bagages pendant qu’ils installent la patiente sur la civière.
Arrivé dans l’avion, la dame est installée, tout s’est plutôt bien passé, mais quelque chose cloche. Je ne percute pas dessuite, mais la dame est positionnée à l’envers, la tête vers la queue de l’avion. Je sais bien que ce n’est pas normal mais j’ai l’espoir que l’on ne m’obligera pas à la bouger encore une fois. Je discute avec le chef de cabine en insistant sur le fait qu’il serait mieux pour ma patiente qu’on ne la touche plus. Je sens qu’il comprend la situation mais il faut qu’il voit avec le pilote. Bien. Moins d’une minute après le pilote arrive, dans ses mains le mode d’emploi et les consignes de sécurités de la civière. Il regarde la patiente, me regarde. Le verdict est clair : soit la patiente fait demi tour et est installée dans le bon sens de la marche, soit nous prenons tous les trois le prochain avion. Question de sécurité, je ne peux pas lui en vouloir. Nous entreprenons donc de faire pivoter notre brave dame de 180 degrès. Ce n’est pas une mince affaire et il nous faudra pas moins de huit bras, quatre mains, deux coudes et un genou pour arriver à nos fins. Tout le monde est embarqué, nous sommes dans le bon sens, ma patiente et sa fille vont mieux, nous n’avons qu’une envie : décoller!!!
Mais il y a encore un problème. Le matelas coquille qui se trouve entre ma patiente et la civière appartient aux ambulanciers. Il faut qu’ils le récupèrent. A voir ma tête ils comprennent que d’un, je n’ai pas envi de soulever une énième fois cette pauvre dame, et deux, il est quasi impossible de faire ça sans y passer un quart d’heure, laisser trois litres de sueur et avoir mal partout pendant une semaine. Je ne sais pas si vous imaginez l’étroitesse de la cabine d’un avion mais c’est vraiment du sport d’y faire rentrer une dame avec une civière, et une fois qu’elle y est croyez- moi vous n’avez pas envie de la bouger de là. Les ambulanciers, eux non plus n’ont pas envie. Ils me disent que je peux garder le matelas, il y a l’adresse dessus, je n’aurais qu’à l’envoyer par la poste une fois rentré. Je les embrasserais presque. Je garde donc le matelas et ils repartent. L’avion peut décoller, nous avons à peu près deux heures de retard. C’est pas énorme, mais il y a ( encore ! ) un problème. Des orages au dessus de Paris nous empêchent d’approcher, il faut donc retarder encore le décollage pendant que nous sommes encore à terre. Deux heures d’attente en plus…
Nous décollons enfin et le vol se passe bien. Le stewart qui s’occupe de nous m’aime bien et me propose du café et de quoi manger toute les cinq minutes. Je me dis que le reste du voyage va bien se passer. J’avais oublié les orages à Paris. Alors que je viens d’accepter un énième café et que je m’apprête à le déguster paisiblement, le pilote annonce que nous allons traverser une zone de turbulences en approchant de Paris. D’un coup l’ambiance se tend.
Ma patiente, qui dormait bien jusque là, se redresse sur sa civière et me lance un regard apeuré, sa fille n’est pas rassurée non plus, et moi je me dis qu’il va falloir que je termine vite mon café brûlant histoire de ne pas en renverser partout et tenir le main de ma patiente en lui faisant croire que ce n’est rien et qu’il n’y a pas à avoir peur pour si peu. Bien évidemment, nous entrons dans la zone de turbulence bien avant que je puisse mettre en place ce scénario idéal. L’avion se transforme alors en montagne russe. Littéralement, j’ai même l’impression de faire un looping à un moment donné.
 Résultat : tout le monde est paniqué. Mon café, que j’essaye de suivre avec ma bouche pour en faire se déverser le contenu ailleurs que sur mon pantalon, se retrouve partout, sauf dans ma bouche. Il y a même un ado sur le siège voisin qui rigole de me voir dans une telle situation. Je tourne la tête vers le stewart qui lit tranquillement son journal comme si rien ne se passait. Il me le propose d’un signe de tête et je lui réponds avec une moue blasée, déconfit de la tournure que prend la fin du vol.
Je me suis toujours dit que quand j’ai peur en avion il me suffit de regarder les hôtesses. Si elles ne sont pas paniquées, il n’y a pas de problème, par contre, si je lis la peur sur leur visage, alors ma panique sera légitime. Et ça fonctionne, je suis rassuré de voir le stewart lire son journal et je peux à mon tour rassurer ma patiente et sa fille.
Nous atterrissons sans encombre à Paris, pour redécoller peu après vers bordeaux. Le deuxième vol se passe sans le moindre heurt. Arrivés à Bordeaux, nous sommes pris en charge par deux ambulanciers très sympas qui doivent nous amener à Pau. Pendant le trajet tout le monde s’endort, je commence même à somnoler un peu, tout va bien. Nous arrivons à Pau vers 3h30 du matin, épuisés mais contents que la journée soit finie. J’installe ma patiente dans sa chambre et repars. Il me faut encore deux heures pour rallier Toulouse et une heure de plus pour rentrer chez moi. Je me dis que je serais rentré pour 7h du matin, si nous ne crevons pas sur la route….
Les RAPAT’ DE TOM sont des récits d’aventure de rapatriement sanitaire. Tom, infirmier urgentiste, nous livre son expérience des missions sanitaires. Ce sont des histoires vraies qu’il nous partage. Pour retrouver ces « Chroniques au bord du Rapatriement Sanitaire » sur Amazon (format Kindle, 62 pages) et embarquer dans l’univers du soin, cliquez ici 😉
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