LES RAPAT’ DE TOM – ON EST DE LA MERDE…

 

  ÉPISODE 08: ON EST DE LA MERDE…

Perpignan-Lille
Il y a des phrases qui choquent… Celle-ci m’a été dite par un homme extraordinaire. Mr T, un patient que j’ai rapatrié de Perpignan à Lille, sacré périple…
Lorsque j’ai reçu l’appel pour ce rapatriement, on m’annonce que le patient est difficile. Il n’a pas pu être rapatrié en avion car sa carte d’identité est périmée, et il a littéralement envoyé boulé ma collègue qui devait le ramener la veille en train ( presque physiquement ! ). Bref, la journée s’annonce rude. Hospitalisé pour une décompensation respiratoire, ce monsieur est atteint de silicose, la maladie des mineurs. De ce fait, il a constamment besoin d’oxygène, et à 62 ans, il en fait 15 de plus, son état général n’est pas fameux.
Nous partons à trois, avec deux collègues ambulanciers aussi grands que moi. De quoi cadrer ce patient si il est un peu agressif. Nous arrivons à Perpignan par une matinée ensoleillée, et tout le monde à l’air soulagé de nous voir arriver.
« Vous venez chercher Mr T? Ouf, il était temps ! »
Effectivement, nous entendons pester au fond du couloir, c’est Mr T qui crie sur l’infirmière du service.
Nous arrivons dans sa chambre, il est plus que prêt, tellement qu’il nous engueule presque d’arriver trop tard. Nous nous mettons tout de suite dans l’ambiance et entreprenons de tourner la réflexion à l’humour. Et ça marche. Mr T nous confie qu’il est content de voir des hommes pour l’accompagner, et peste tant et plus sur l’infirmière qui est venue la veille. Il nous raconte qu’elle ne voulait pas qu’il marche, qu’elle était stressée et avait peur de lui. Je comprends qu’il va falloir négocier la moindre chose pendant la journée, et toujours laisser le plus d’autonomie à ce monsieur, dans la limite du raisonnable évidemment. Je lui explique donc que nous ne sommes pas là pour l’emmerder ( excusez le langage mais c’est exactement ce que j’ai dit ), mais pour prendre soin de lui, et faire en sorte que le voyage se passe bien. Nous partons donc et je commence à discuter avec lui. Il me raconte sa vie, la mine, les problèmes de santé qu’ont engendré ce travail, et la fatigue qu’il ressent devant sa maladie. En effet il a constamment besoin d’oxygène, et ne peut plus faire la moitié des choses qu’il faisait avant. Il en a conscience mais refuse cette perte d’autonomie, ce que je peux aisément comprendre. Le trajet se déroule bien, c’est la première fois que Mr T sort de l’hôpital depuis deux semaines, et il est heureux de voir le soleil, et de quitter les couloirs de l’hôpital. Il n’est absolument pas agressif, mais juste fatigué et exaspéré du déroulé de son rapatriement depuis le début de la semaine. Chez un homme avec autant de caractère que lui ce genre de situation devient rapidement explosive. Mais aujourd’hui tout va mieux, nous le ramenons chez lui, il nous aime bien et nous ne sommes pas partis depuis une heure qu’il téléphone à sa femme pour lui dire de préparer un bon repas et de sortir une bonne bouteille de vin.
Au bout de quelques heures, les ambulanciers s’arrêtent pour boire un café. Mr T ne tient pas en place et veut aller au toilettes. Nous nous organisons pour sortir le brancard et faire suivre l’oxygène. Il refuse de le garder et il me faut user de toute la ruse dont je dispose pour lui faire accepter. Tout se passe plutôt bien, nous sommes garés tout près de la station essence et il n’y a pas beaucoup de trajet jusqu’au toilettes. Nous reprenons la route quelques minutes après, sereins.
Le deuxième arrêt est un peu plus long car nous prenons le temps de manger un bout. Mr T a une fois de plus refusé l’oxygène et cette fois-ci je lui accorde, sans vraiment avoir le choix quand même ( quand je vous parle de fort caractère ! ).
Je lui dis que si je vois qu’il en a besoin j’irais chercher la bouteille d’oxygène et il n’aura plus le choix. Nous tombons d’accord et tout se déroule bien, même si à la fin du repas je sens bien que Mr T ne pourrais pas se passer plus longtemps de l’oxygène. Tant mieux, nous remontons dans l’ambulance.
Ces deux premier arrêts lui ont donné confiance. En effet, personne ne lui autorisait de marcher plus de cinq mètres dans l’hôpital, il devait garder son oxygène en permanence, alors qu’aujourd’hui c’est un peu plus « free », et il va en profiter un peu. ( Erreur qu’il reconnaitras lui-même plus tard ).
Le trajet suit son cours et nous papotons gentillement, avec une voix rocailleuse pour Mr T, le tout entrecoupé de toux sèche. Il me raconte sa vie, et je pense qu’il pourrait en faire un livre. Il a commencé à travailler à seize ans, à la mine, comme son père, et il me raconte les journées atroces qu’il a vécu, les accidents qui lui ont fait perdre plusieurs camarades, et cette maladie, qu’il récolte après quarante ans de bons et loyaux services.
Mr T s’est installé en face de moi, sur le siège, ne supportant plus le brancard ( « je m’y écrase les fesses et ça me donne des nausées ! » ). Séance de sport dans l’ambulance puisqu’il se transfère du brancard au siège sans que l’on s’arrête, avec toute la grâce et l’agilité dont il dispose. ( Je ne sais pas si vous êtes déjà montés dans une ambulance mais c’est très étroit, et la scène vaut le détour ). J’ai bien cru que les fesses sus-dites allaient atterrir sur ma figure mais tout se passe bien, et nous continuons à parler tranquillement.
Nous nous arrêtons encore une fois pour accompagner Mr T au toilettes. Cette fois-ci il n’est plus question de brancard ni d’oxygène, Mr T sors de l’ambulance par le côté et marche jusqu’au toilettes sans ( presque ) l’aide de personne. Je sens pourtant qu’il commence à fatiguer, mais je sais que cette fois je ne pourrais pas négocier. Je le laisse faire, me tenant prêt le cas échéant.
Tout se passe terriblement bien, peut-être trop. Mr T reviens vers l’ambulance, guilleret mais tout de même un peu pâle. C’est au moment de remonter dans l’ambulance que ses jambes le lâchent. Il tombe à genou devant le brancard et cherche difficilement sa respiration, haletant et transpirant. Je lui remet l’oxygène en quatrième vitesse, et l’aide à se réinstaller sur le siège. Il ne dit pas un mot, et ce n’est que quelques minutes après lorsqu’il a repris son souffle qu’il ouvre la bouche.
« On est que de la merde, vraiment, on est rien du tout. Regarde moi, gaillard comme je suis, tu m’enlève l’oxygène cinq minutes et je suis plus capable de rien, c’est pas une vie, on est vraiment que dalle… »
Je ne sais pas quoi lui répondre et laisse le silence accompagner ses paroles. Il a raison, et je ne vois pas quoi lui répondre, il a tout dit en une phrase. Nous reprenons la route, et Mr T reprend de sa vitalité à mesure que nous avalons les kilomètres. Nous ne sommes plus très loin de chez lui et ça se sent. Il rappelle sa femme pour lui dire que nous arrivons et nous n’avons pas d’autre choix que de rester manger avec lui. C’est une proposition qu’il n’acceptera pas que nous refusions.
Nous arrivons à bon port après douze heures d’une longue route, et Mr T est tellement content de rentrer chez lui que nous avons l’air plus fatigués que lui. Je lui branche l’oxygène sur son extracteur personnel, et le voilà qui gambade dans sa maison, en pleine forme. Il nous invite à sa table, et nous nous régalons du repas simple mais délicieux qu’a préparé sa femme. En guise de boisson il nous sert un vin de 1985, je crois que j’en ai rarement goûté d’aussi bon.
Comme quoi ce patient qui au départ devait être agressif et difficile à gérer se révèle être un homme extrêmement intéressant et d’une hospitalité sans pareille. Nous avons tous appris une leçon aujourd’hui, surtout lui, et malgré cela il reste plein de vie et d’entrain, même si au fond de lui il en veut à la vie de l’avoir mis dans cet état…
Le retour se fait sans bruit, et je reprends l’avion le lendemain avec un pincement au cœur, je n’oublierais pas ce patient de si tôt…
Les RAPAT’ DE TOM sont des récits d’aventure de rapatriement sanitaire. Tom, infirmier urgentiste, nous livre son expérience des missions sanitaires. Ce sont des histoires vraies qu’il nous partage. Pour retrouver ces « Chroniques au bord du Rapatriement Sanitaire » sur Amazon (format Kindle, 62 pages) et embarquer dans l’univers du soin, cliquez ici 😉
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